L'ALGÉRIE, SEULEMENT L'ALGÉRIE?
"C. L. : Comment expliquez-vous que vos compatriotes, après avoir souffert de l'islamisme, acceptant aujourd'hui de voir leur destin confisqué ?
Y. K. : C'est toute la question. Notre peuple a tellement souffert: guerre de libération, dictature, socialisme de pacotille, espionnite, arabisation politique, décennie noire avec plus d"une centaine de milliers de morts. Aujourd'hui, le peuple s'écrase devant une poignée d'arrivistes fortunés. Je ne comprends pas pourquoi il a baissé les bras subitement alors qu'il était à deux doigts de se moucher dans les étoiles. Nous avons oublié nos morts et nous avons tourné le dos a nos héros. À croire que nous avons choisi de nous auto-flageller, de nous faire violence en défigurant nos plus belles images, en contestant nos valeurs et notre talent, en servant les intérêts des autres nations au détriment de nos propres intérêts. J'ai essayé de répondre à cette question dans Qu'attendent les singes, notamment dans les chapitres 10 et 11. Le régime a réussi à corrompre et les cœurs et les esprits. Jusqu'au consciences. Par définition et par vocation naturelle, les consciences se situent aux-dessus des tentations. Elles assurent l' essentiel de la survie de l'humanité. Sans les consciences, il n'y aurait que chaos et barbarie. En Algérie, les consciences ont rendu les armes quand elles ne sont pas tout bonnement laissé acheter. Une telle démission, une telle volte-face, une telle attitude contre nature ne peut qu'envenimer davantage les frustrations. Les repères d'antan ont fichu le camp, les slogans sonnent creux, les principes sont foulés au pieds. Et dans cette déconfiture, chacun trouve sont compte. La corruption est devenue monnaie courante. Tout s'achète et tout se vend, y compris le devenir de la patrie. Comment expliquer que mes compatriotes n'arrivent pas à s'unir pour changer les choses ? Parce qu'ils ne se supporte pas. Ils ne s'entend pas parce qu'ils ne s'écoutent pas. Le régime en place a tout fait pour les désunir avant de les dresser les uns contre les autres. En accélérant l'encanaillement. Il ne laisse à personne le temps de se poser les bonnes questions. C'est la ruée sur les opportunités, la curée royale, et ceux qui sont à la traîne ont peur de ne même pas pouvoir se contenter des miettes. Les quelques esprits honnêtes sont dans le doute. Ils se demandent s'ils font bien de garder leurs mains propres quand elles ne sont pas carrément dans le cambouis. Bien sûr, il y a ceux qui s'indignent de ce qui nous arrive, mais ils se méfient trop les uns des autres pour luter ensemble... Quand je pense aux grands projets que nous nourrison pour notre pays à l'École des cadets ! Je ne pouvais dissocier mon bonheur de celui de l'Algérie. Je rêvais d'elle comme d'une égérie. Tiens, ça rime, Algérie et égérie. Je la voyais debout la tête dans les nuages, sereine et souveraine, parée de ses plus belles contrées, avec plein de soleil dans les yeux. Je voulais devenir un poète pour mériter de la chanter. "
Yasmina Khadra- écrivain algérien
dans " La Baisser et la Morsure "
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